Greenpeace France, le Réseau “sortir du nucléaire” et le collectif Stop EPR ni à Penly ni Ailleurs attaquent en justice le décret d’autorisation des travaux préparatoires pour la centrale de Penly (76), site pressenti pour accueillir deux nouveaux réacteurs nucléaires (de type EPR2).
Les organisations dénoncent une autorisation permise par la loi “d’accélération du nucléaire” malgré de nombreuses irrégularités. Ce feu vert porte préjudice à l’environnement, à la biodiversité locale et à la population. L’Autorité environnementale (AE) avait elle-même pointé de nombreuses lacunes dans le dossier d’EDF.
Le 3 juin dernier était adopté le décret n° 2024-505, portant autorisation environnementale relative à la réalisation de travaux préparatoires nécessaires à l’implantation d’une paire d’unités de production nucléaire de type EPR2 sur le site de Penly et la commune de Petit-Caux. EDF s’était réjouie, dans sa communication du 5 juin dernier, de cette autorisation environnementale lui permettant en tant qu’opérateur de lancer, “au début de l’été”, les travaux préparatoires de ces deux nouveaux réacteurs. Ces travaux devraient durer trois ans et demi. Les trois organisations dénoncent l’entérinement d’une des dérives permises par la loi d’accélération du nucléaire (loi n° 2023-491 du 22 juin 2023). Cette dernière permet la dissociation entre l’exécution des travaux préparatoires liés à la construction de nouvelles installations nucléaires, et ceux portant sur l’îlot nucléaire proprement dit (1).
Plus que de “travaux préparatoires”, il s’agit du début de travaux de grandes envergure, puisque le programme des travaux inclut notamment le déroctage de la falaise (5 millions de mètres cubes), la création d’une emprise de 20 hectares sur le fond marin, des excavations, le terrassement et la construction des premiers ouvrages souterrains, la création d’un système de traitement des eaux usées, etc. Les travaux de construction commencent alors même que la demande d’autorisation de création des réacteurs est en cours d’instruction, et que l’issue ne peut être une approbation automatique.
Pour Pauline Boyer, ingénieure, experte en nucléaire et chargée de campagne Transition énergétique à Greenpeace France :
« La dissociation de la “phase préparatoire” et des travaux de construction de “l’îlot nucléaire” n’est, ni plus ni moins, qu’une stratégie du “pied dans la porte”. Sous couvert de travaux préparatoires, EDF dépense déjà des milliards d’euros, rendant alors beaucoup plus compliquée pour les autorités la possibilité d’interdire la poursuite des travaux si l’étude du dossier le rendait nécessaire. Le gouvernement français continue dans la relance du nucléaire à marche forcée, en application de la loi dite “d’accélération nucléaire”, en faisant fi du coût environnemental et des risques économiques, industriels et nucléaires liés à la construction de réacteurs. Le gouvernement et EDF jouent un jeu dangereux, et à la fin, c’est toujours la population qui trinque en assumant les risques économiques et industriels. »
Pour Lisa Pagani, juriste du RSDN : « EDF n’a désormais besoin que d’une autorisation environnementale pour entamer les travaux préparatoires nécessaires à la construction de ses réacteurs EPR2. Pourtant, à ce stade, rien ne prouve la faisabilité technique et financière de ce projet. Cette situation est d’autant plus problématique qu’aucun plan de remise en état des lieux n’est prévu à Penly si le projet n’aboutit finalement pas et que nous attendons encore l’adoption d’une stratégie énergétique pour les dix prochaines années. Ces travaux sont l’assurance d’une destruction précipitée de terres et de fonds marins au regard du contexte actuel. »
L’AE et le Conseil national de protection de la nature (CNPN) ont tous deux émis des observations, l’AE pointant plusieurs faiblesses du dossier de demande d’autorisation environnementale. Les organisations attaquent ce décret gouvernemental sur les éléments suivants :
- Sur l’irrégularité de l’avis de l’Autorité environnementale
Dans son avis datant du 9 novembre 2023, l’autorité environnementale (AE) avait souligné d’importantes lacunes dans l’étude d’impact d’EDF. Les manquements n’ont pas permis à l’AE de se prononcer, en toute connaissance de cause, sur les effets du projet d’implantation de deux unités de production EPR2 sur le site de Penly (2). Si EDF a ensuite complété son étude d’impact, l’AE n’a pas été consultée une deuxième fois. Elle n’a donc pas pu rendre d’avis éclairé sur le dossier final d’EDF.
- Sur le manque de transmission d’informations pour un débat éclairé
Selon la convention d’Aarhus (3), les États doivent veiller « à ce que, au moment de prendre la décision, les résultats de la procédure de participation du public soient dûment pris en considération ». Or, près d’un an et demi après la publication du compte-rendu du débat public sur le projet Penly, la CNDP a rappelé, le 4 septembre dernier, qu’EDF et l’État n’avaient toujours pas apporté de réponses aux nombreuses questions du public rapportées par la CPDP (4).
- Sur l’insuffisance de l’étude d’impact
De nombreuses insuffisances ont été relevées dans l’étude d’impact, alors qu’elle constitue un outil d’évaluation environnementale permettant de décrire et d’apprécier les incidences d’un projet sur l’environnement et la santé humaine. S’agissant notamment de l’état initial du milieu marin, « aucune campagne de prospection pour identifier les espèces présentes » dans la zone d’étude du projet n’a été réalisée récemment. La prise en compte des enjeux liés au changement climatique est en outre parcellaire. D’après Greenpeace, le RSDN et Stop EPR ni à Penly ni Ailleurs, certaines données retenues par l’étude d’impact semblent incohérentes, voire erronées.
- Sur la méconnaissance des dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement et de la directive « Habitats »
La destruction ou la perturbation des espèces animales protégées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont, en principe, interdites. Le code de l’environnement prévoit la possibilité de déroger à cette interdiction si, notamment, un projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM), mais encore faut-il le justifier. Avec la loi “d’accélération du nucléaire”, l’industrie nucléaire a bénéficié d’une nouvelle faveur : les projets de construction de nouveaux réacteurs sont présumés répondre au qualificatif de RIIPM sans avoir à le motiver.
Pour Greenpeace France, le RSDN et Stop EPR ni à Penly ni Ailleurs, les travaux préparatoires liés à la réalisation d’une paire d’unités EPR2 sur le site de Penly ne répondent pas, en tant que tels, à une raison impérative d’intérêt public majeur, dès lors qu’ils pourraient être réalisés en pure perte, la construction des réacteurs n’étant pas à ce jour autorisée.
Ce samedi 12 et dimanche 13 octobre, une mobilisation est organisée à Rouen et à Penly pour dénoncer le lancement des travaux des deux nouveaux réacteurs, et contre la relance du nucléaire plus largement.
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(1) Ainsi, si l’article 11 de cette loi prévoit que, « parmi les opérations liées à la réalisation d’un réacteur électronucléaire, la construction des bâtiments, y compris leurs fondations, destinés à recevoir des combustibles nucléaires ou à héberger des matériels de sauvegarde ne peut être entreprise qu’après la délivrance de l’autorisation de création mentionnée à l’article L. 593-7 du code de l’environnement », et précise que « les autres opérations liées à la réalisation d’un réacteur électronucléaire peuvent, aux frais et aux risques de l’exploitant, être exécutées à compter de la date de délivrance de l’autorisation environnementale mentionnée au I du présent article ».
(2) La liste des recommandations émises par l’AE pour EDF est trop longue pour être citée de manière exhaustive. Elles concernent l’application du principe ALARA (éviter au maximum l’exposition à la radioactivité et les rejets dans l’environnement), la nécessité de démontrer l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur, ou la demande d’approfondissement de l’étude d’impact sur la biodiversité et de l’impact des travaux sur la population et les fonds marins.
(3) Convention de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU) sur l’accès à l’information. La convention d’Aarhus réglemente la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement.
(4) Commission Particulière du Débat Public